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« Mais qui donc es-tu toi qui te targues de vivre pour toujours ? » souffla le bougainvillier d’en face, qui savait que sa vie serait plus longue que celle du géranium mais qui n’ignorait point que sa chlorophylle à lui aussi était comptée.

« Je suis un mot. Mot né de l’inspiration du poète et écrit sur papier. Je suis et je m’appelle Observation. Je n’ai l’air de rien comme ça dans mon coin avec mes lettres chiffonnées ; mais si je me déploie, toutes mes lettres, mes o, mes r et toutes les autres sont bien dessinées. Je suis né il y a quelques mois, par une soirée pluvieuse, parmi de nombreux autres mots. Notre avenir semblait radieux, un roman tout entier ! Mais, depuis ma plus tendre enfance, j’entendais des rumeurs sur la mort qui rôde ; elles disaient que des mots meurent souvent de mort brutale et féroce ».

« Mais tu n’as pas dit que vous vivez éternellement ? »

« Si on nous laisse vivre, oui. Mais notre géniteur a souvent des crises de folie, il peut décider à l’instant où il nous écrit que nous ne lui convenons pas et alors hop il saisit une gomme et nous fait disparaître. Ou bien il nous déchire en mille morceaux. Ou alors il nous brûle. Un vrai désastre ! » dit Observation et ses yeux se remplirent de larmes. »


Ce conte appartient à la huitième œuvre de Leo Kalovyrnas, un livre qui n’entre nulle part. Il n’entre pas dans les catégories trop lisses du roman, du récit, du conte et de la nouvelle.
A mi-chemin entre le conte et le quotidien, vingt-et-une histoires racontent des créatures étranges, des êtres humains qui retournent leur vie pour voir ce qui est écrit au verso. C’est entre le tic et le tac de l’horloge, là où se nichent les peurs, là où les désirs somnolent, que commence le fil du récit d’histoires que nous voudrions vivre.

Quand le monde était encore tout bébé, avec ses volcans braillards et ses tremblements de terre aux caprices d’enfant gâté, quand les continents n’avaient pas encore réussi à trouver la place qui leur convenait, les fées se faufilaient sous les draps de la réalité, en faisaient une boule et l’avalaient avec une gorgée de limonade car la réalité est dure et souvent difficile à digérer.

L’obscurité est épaisse comme le cul d’une casserole remplie des reliefs d’un repas carbonisé. Les étoiles brodent le ciel en médisant des allers et venues de la lune et les bipèdes pollueurs de planète, la souillent un peu moins car ils se sont endormis pour la plupart. L’obscurité tombe comme du sel fin sur des plaies béantes, les hommes vomissent leurs tourments secrets et les déposent dans le giron de la nuit. La princesse qui n’était pas si gentille que ça se met alors à la recherche de chiffons à poussière d’étoiles, la mauvaise heure mendie un bol de vie, des humains se métamorphosent en plantes plastiques, des écrivains tuent des mots, des photocopieuses font les quatre cents coups, des jeunes gens défont le pull-over de leur vie et des princes aux doux baisers tentent d’échapper à des détectrices de pollution.