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« Le jeune homme soupira profondément. Un jour nouveau pointait distillant une lumière avare et son cœur était lourd et oppressé. Encore une aube furieuse qu’il ne lui ait pas rendu son sourire mais d’où aurait-il bien pu l’extraire avec toute cette tristesse et cette impatience qui lui comprimaient la poitrine ?

« Quand j’étais petit, dans la cour, chez grand-mère, je jouais avec mes petites voitures et je rêvais que j’étais au volant et que je roulais sur de grandes routes larges ». Il avait souvent envie de s’en aller. Parfois le matin quand il arrivait au travail, l’idée lui venait de ne pas s’arrêter devant le garage, de continuer à marcher, de laisser ses pieds épouser la route – où que mènent ces épousailles, loin d’ici, ailleurs, n’importe où mais pas ici. Mais il revenait toujours sur ses pas, comme si une chaîne le retenait dès que la route amorçait un virage vers des lieux inconnus. C’était la chaîne de sa promesse. La promesse qu’il avait faite à sa grand-mère. « Quoi qu’il arrive, même si le ciel vous tombe sur la tête, écoute toujours ton père et ne l’abandonne jamais .»

Ainsi depuis sa toute petite enfance, le jeune homme attrapait ses rêves et les sacrifiait en leur coupant le cou sur l’autel de la promesse qu’il avait donnée à sa grand-mère. Il abandonna l’école parce que son père le lui avait demandé ; il trouva du travail au garage parce que son père l’avait dit ; il prenait soin de lui et l’écoutait, comme il l’avait promis à sa chère grand-mère. « Mamie, je n’abandonnerai jamais papa ». Ainsi, sa grand-mère était convaincue que son fils et son petit-fils s’aimaient et qu’ils continueraient à s’aimer quand elle serait morte. »


Ce conte appartient à la huitième œuvre de Leo Kalovyrnas, un livre qui n’entre nulle part. Il n’entre pas dans les catégories trop lisses du roman, du récit, du conte et de la nouvelle.
A mi-chemin entre le conte et le quotidien, vingt-et-une histoires racontent des créatures étranges, des êtres humains qui retournent leur vie pour voir ce qui est écrit au verso. C’est entre le tic et le tac de l’horloge, là où se nichent les peurs, là où les désirs somnolent, que commence le fil du récit d’histoires que nous voudrions vivre.

Quand le monde était encore tout bébé, avec ses volcans braillards et ses tremblements de terre aux caprices d’enfant gâté, quand les continents n’avaient pas encore réussi à trouver la place qui leur convenait, les fées se faufilaient sous les draps de la réalité, en faisaient une boule et l’avalaient avec une gorgée de limonade car la réalité est dure et souvent difficile à digérer.

L’obscurité est épaisse comme le cul d’une casserole remplie des reliefs d’un repas carbonisé. Les étoiles brodent le ciel en médisant des allers et venues de la lune et les bipèdes pollueurs de planète, la souillent un peu moins car ils se sont endormis pour la plupart. L’obscurité tombe comme du sel fin sur des plaies béantes, les hommes vomissent leurs tourments secrets et les déposent dans le giron de la nuit. La princesse qui n’était pas si gentille que ça se met alors à la recherche de chiffons à poussière d’étoiles, la mauvaise heure mendie un bol de vie, des humains se métamorphosent en plantes plastiques, des écrivains tuent des mots, des photocopieuses font les quatre cents coups, des jeunes gens défont le pull-over de leur vie et des princes aux doux baisers tentent d’échapper à des détectrices de pollution.