Skip to main content

« Rude hiver que cet hiver là, un froid épouvantable, quasi sournois. C’était la veille de Noël mais aux yeux d’Eugénie l’atmosphère n’avait rien de festif, à l’exception des lampions kitsch multicolores suspendus dans les rues et des chansons de Noël dissonantes que vomissaient les radios et les magasins. Une fois de plus, Eugénie Pingres venait de rompre et elle était en grand désarroi. Elle avait fait de gros efforts pour éviter la séparation en plein Noël, mais combien de fois peut-on se heurter à un mur et faire semblant de ne pas avoir mal ?

Dix heures et ce soir, ce soir de Noël si radieusement morne, l’obscurité viciée de la ville serait son unique compagne. Normalement, elle aurait dû passer la soirée avec Manuel, mais la compagnie de Manuel en cet instant lui semblait aussi séduisante qu’un gros coup de poing à l’estomac. Non mais ! « Elle était avare de ses soins ! ». Qu’est-ce qu’elle aurait dû faire d’autre ? Le torcher quand il sortait des toilettes ?

Elle réfléchit aux alternatives qu’elle avait pour cette soirée et se sentit encore plus désespérée. Elle détestait Noël, cette prétendue fête de l’amour et de la joie. En général, après les courses et le stress face à la perspective des festivités, les gens étaient tellement épuisés qu’ils se défoulaient sur le parent qui leur tombait sous la main. Le petit Jésus pouvait bien sourire béatement dans sa crèche – il n’avait pas affaire à un type qui détestait mettre des capotes. »


Ce conte appartient à la huitième œuvre de Leo Kalovyrnas, un livre qui n’entre nulle part. Il n’entre pas dans les catégories trop lisses du roman, du récit, du conte et de la nouvelle.
A mi-chemin entre le conte et le quotidien, vingt-et-une histoires racontent des créatures étranges, des êtres humains qui retournent leur vie pour voir ce qui est écrit au verso. C’est entre le tic et le tac de l’horloge, là où se nichent les peurs, là où les désirs somnolent, que commence le fil du récit d’histoires que nous voudrions vivre.

Quand le monde était encore tout bébé, avec ses volcans braillards et ses tremblements de terre aux caprices d’enfant gâté, quand les continents n’avaient pas encore réussi à trouver la place qui leur convenait, les fées se faufilaient sous les draps de la réalité, en faisaient une boule et l’avalaient avec une gorgée de limonade car la réalité est dure et souvent difficile à digérer.

L’obscurité est épaisse comme le cul d’une casserole remplie des reliefs d’un repas carbonisé. Les étoiles brodent le ciel en médisant des allers et venues de la lune et les bipèdes pollueurs de planète, la souillent un peu moins car ils se sont endormis pour la plupart. L’obscurité tombe comme du sel fin sur des plaies béantes, les hommes vomissent leurs tourments secrets et les déposent dans le giron de la nuit. La princesse qui n’était pas si gentille que ça se met alors à la recherche de chiffons à poussière d’étoiles, la mauvaise heure mendie un bol de vie, des humains se métamorphosent en plantes plastiques, des écrivains tuent des mots, des photocopieuses font les quatre cents coups, des jeunes gens défont le pull-over de leur vie et des princes aux doux baisers tentent d’échapper à des détectrices de pollution.