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« J’ai vécu dans des maisons noires aux fenêtres aveugles. J’ai vécu dans des champs ravagés par le soleil et dans d’autres inondés par les eaux de pluie. J’ai vécu dans des villes aux avenues flasques pour mieux vous engloutir et aux venelles qui vous croc-en-jambe.

Si ma voix glissait sur les notes sans buter sur elles, j’en ferais une chanson. Ainsi, confiante en la malédiction des mots, j’accepte en cadeau la page blanche en espérant parvenir sur la berge opposée.

Dans mes registres à moi, mon nom et mon âge n’ont aucune espèce d’importance. Mais je sais que, sans leurs petits tiroirs, la plupart des gens sont perdus et s’affolent comme s’ils ne savaient plus où ranger leurs pensées ; alors je vais leur dire deux choses sur moi. Même si je ne m’y sens pas obligée.

Je m’appelle Ogée et, si l’on compte selon vos années à vous, j’ai l’air d’avoir à peu près cinquante ans. Je porte dans mes os le poids des siècles. Sur le seuil de mon âme, chaque heure qui passe dépose des instants morts pareils à des cadeaux de chatte dévouée. »


Ce conte appartient à la huitième œuvre de Leo Kalovyrnas, un livre qui n’entre nulle part. Il n’entre pas dans les catégories trop lisses du roman, du récit, du conte et de la nouvelle.
A mi-chemin entre le conte et le quotidien, vingt-et-une histoires racontent des créatures étranges, des êtres humains qui retournent leur vie pour voir ce qui est écrit au verso. C’est entre le tic et le tac de l’horloge, là où se nichent les peurs, là où les désirs somnolent, que commence le fil du récit d’histoires que nous voudrions vivre.

Quand le monde était encore tout bébé, avec ses volcans braillards et ses tremblements de terre aux caprices d’enfant gâté, quand les continents n’avaient pas encore réussi à trouver la place qui leur convenait, les fées se faufilaient sous les draps de la réalité, en faisaient une boule et l’avalaient avec une gorgée de limonade car la réalité est dure et souvent difficile à digérer.

L’obscurité est épaisse comme le cul d’une casserole remplie des reliefs d’un repas carbonisé. Les étoiles brodent le ciel en médisant des allers et venues de la lune et les bipèdes pollueurs de planète, la souillent un peu moins car ils se sont endormis pour la plupart. L’obscurité tombe comme du sel fin sur des plaies béantes, les hommes vomissent leurs tourments secrets et les déposent dans le giron de la nuit. La princesse qui n’était pas si gentille que ça se met alors à la recherche de chiffons à poussière d’étoiles, la mauvaise heure mendie un bol de vie, des humains se métamorphosent en plantes plastiques, des écrivains tuent des mots, des photocopieuses font les quatre cents coups, des jeunes gens défont le pull-over de leur vie et des princes aux doux baisers tentent d’échapper à des détectrices de pollution.